Je vous laisse ce week-end avec ce beau texte de mon amie Fawzia Taouzari-Liget. Publié dans le cadre de discussion à la suite de journées de travail dans notre domaine "psy"
Lisez le et discutez dans les com' je transmettrai à Foufou
par Fouzia Liget
En réponse à Yasmine Grasser
Le texte de Yasmine Grasser, paru dans le « Journal des Journées », mérite d’ouvrir un débat concernant un sujet aussi polémique et passionnant qu’est le voile dans la religion musulmane. Cette question m’anime, m’intéresse, de par mes origines arabo-musulmanes, fille née en France de parents d’origine marocaine, immigrés, venus en France dans les années 70, mon père étant ouvrier.
La religion, la culture, la tradition - tout cela ne dit rien de ce que c’est que d’être une femme. Elles répondent : être une femme, c’est être une épouse, fidèle à son mari, et une mère, dévouée à ses enfants - soit ce que Freud avait lui-même mis en avant, tout en ajoutant que cette réponse restait insatisfaisante. Impasse donc.
Si les traditions étouffent la féminité, l’écrasent sous la loi phallique, la femme ne se laisse pas si aisément ranger sous un signifiant, auquel cas elle souffre, elle étouffe... Le prix a payer est de céder sur son propre désir, son désir de femme. C’est par le biais du symptôme et de la souffrance qu’il y a chance pour la femme de se libérer du carcan traditionnel souvent écrasant.
C’est pourquoi, pour les pays arabo-musulmans, je fais le pari du symptôme et de la psychanalyse.
La femme est pas-toute dans la loi phallique. Le recours à l’analyse permet de lever la chape de plomb qui pèse sur elle, afin que puisse émerger pour elle un « devenir-femme » au-delà du regard de l’Autre. Pour reprendre l’énoncé ... « On ne naît pas femme, on le devient ! »
Comment devient-on femme au 21ème siècle ? Ma réponse : par la voie de l’analyse, et dans un combat solitaire pour rejoindre la vérité de son désir de femme – solitaire, mais pas sans son analyste.
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Pour toute musulmane pratiquante, le voile islamique est avant tout une obligation religieuse Libre à chacune de le porter ou non. Dans un pays comme le nôtre, où la laïcité prime dans les lieux public, le porter, c’est assumer le risque de se trouver exclue du monde du travail. C’est l’une des grandes polémiques concernant le voile. Celles qui le porte attendent de la France une reconnaissance de leur singularité, de leur pratique religieuse.
Allah, dans le Coran, après avoir ordonné aux hommes de garder le regard baissé, demande au Prophète Mohammed de s'adresser aux croyantes en ces termes :
« Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu'elles rabattent leur voile sur leurs poitrines ; et qu'elles ne montrent leurs atours qu'à leurs maris, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs maris, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs soeurs, ou aux femmes musulmanes, ou aux esclaves qu'elles possèdent, ou aux domestiques mâles impuissants, ou aux garçons impubères qui ignorent tout des parties cachées des femmes.... »
Le second verset qui évoque l'obligation de porter le voile est le 59ème de la Sourate 33, dans lequel Allah dit :
"Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs grands voiles : elles en seront plus vite reconnues et éviteront d'être offensées. Allah est Pardonneur et Miséricordieux."
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Pourquoi, en Islam, cherche-t-on à voiler les femmes ? afin de préserver leur pudeur et leur chasteté. Le voile a pour fonction première d’assurer aux femmes musulmanes pudeur et discrétion.
Que penser alors du voile en France ? En France, les femmes voilées sont minoritaires, elles se font remarquer, intention inconsciente ou non, on les distinguent entre toutes les autres , et pire pour celles qui portent la bourka, et le nighab. On est loin de la discrétion.
Qu’en est-il de la pudeur ? Le voile a pour fonction de dissimuler, cacher, dérober le corps féminin au regard masculin. En parallèle, l’Islam donne une place importante à la sexualité. Entre les époux, la sexualité est reconnue, et même encouragé. L’Islam reconnaît qu’il est normal qu’un homme et une femme recherchent le contact sexuel. C’est pourquoi il codifie les rapports entre les sexes. Le voile permet aux femmes musulmanes pratiquantes de s’avancer dans la sphère publique, dans le monde du travail. Le voile permet donc la mixité.
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Lorsqu’on pense Islam, le préjugé qui émerge d’emblée, c’est : soumission de la femme à l’homme.
Dans la culture arabo-musulmane, la femme fascine, dérange. Elle y est décrite comme une diablesse, «chitana », une tentatrice, une séductrice. Les poètes arabes ont de tout temps chantés le charme et la beauté des femmes orientales. La femme est perçu comme une chasseresse, et l’homme comme la victime. La faute est imputée aux femmes et la faiblesse à l’homme. Pour préserver l’homme d’être détourné de Dieu et du droit chemin, on recommande aux femmes de se voiler. Le voile indexe donc le pouvoir du corps féminin sur l’homme - la supériorité de la femme sur l’homme. Elle a le pouvoir de détourner n’importe quel homme de sa foi envers Dieu : la passion est déraison, l’amour rend fou… Point trop de passion, de désir et d’amour !
Il y a donc un envers : le voile révèle ce qui se cache, connotant sa transgression possible. L’interdit pointe la jouissance. Le voile indique que toute relation à l’autre sexe implique nécessairement la question sexuelle. Le corps féminin en est d’autant plus sacralisé.
Cela montre bien combien les traditions, les religions, sont obsédés par la crainte de la sexualité féminine et du corps féminin. Quand vous êtes une fille de tradition arabo-musulmane, on vous apprend très tôt la pudeur, dès la puberté. Ce sont les mères qui transmettent cela aux filles. On vous apprend comment vous habiller. On vous dicte comment vous comporter. Ce n’est pas pour rien que les filles ont une place importante dans les familles : elles portent l’honneur du père. La virginité en est le garant. Et si les sorties sont autorisées pour les filles, les mères leurs transmettent l’obligation de chasteté : « Embrasse, mais attention à ta 'boîte en or'».
Toute l’énergie de la culture arabo-musulmane vise à faire taire et à cadenasser la sexualité féminine, à séparer les sexes. La pratique de la séparation des sexes dans les mariages, par un rideau, et la non-mixité, restent courantes dans beaucoup de familles maghrébines pratiquantes. La religion autorise les femmes voilées à retirer leur voile devant leur père et leurs frères, mais dans la réalité, beaucoup ne se l’autorisent pas, par honte, par pudeur.
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En France, le voile vous isole dans le monde du travail, voire vous en exclue. Et pourtant les femmes qui portent le voile attendent de la France une reconnaissance de leur singularité. Elles veulent travailler. Les femmes musulmanes voilées ne sont plus cantonnée à la sphère privée, elles étudient aussi bien que les hommes, vont à l’Université, se mélangent, ont le désir de réussir dans le monde du travail, dans le monde politique et social. Elles sont françaises, nées en France. Elles se vivent modernes et occidentalisées.
C’est d’ailleurs ce qui dérange, puisqu’on fait très vite l’équation : voile = soumission. Leur refus de retirer le voile a pour elles des conséquences tragiques : exclusion, souffrance, incompréhension. Le risque est d’aller vers un communautarisme musulman : faire bloc contre l’injustice, et le sentiment de rejet et d’oppression, alors que la mixité culturelle est une richesse qui permet de dépasser l’ignorance et les stéréotypes.
La religion n’est-elle pas avant tout une affaire personnelle et spirituelle ? Qu’a-t-elle affaire à s’afficher aux yeux de tous ? Certaines femmes musulmanes voilées trouvent des compromis, en s’autorisant à retirer le voile dans leur milieu professionnel.
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Je termine en mettant l’accent sur une division et un paradoxe dont les filles musulmanes émancipées ont l’expérience.
D’un côté, à force d’être dévoilé, dénudé, exposé, exhibé, comme objet érotique, le corps féminin perd en fait de sa valeur érotique, voit diminuer son agalma, est banalisé.
De l’autre, la pudeur, au nom de quoi le corps féminin est voilé, a pour résultat d’érotiser en fait ce corps, de le sacraliser.
Donc, une fille qui se dévoile pour se fondre dans la société française, et y faire son chemin, a en même temps le sentiment d’une perte : restera-t-elle aussi désirable pour l’homme que ses soeurs voilées ?
On voit ainsi se dessiner deux positions extrêmes concernant le regard porté sur le corps féminin.
Je ne suis pas musulmane, je suis Française, je suis chrétienne, je suis femme. Alors ? Je n'ai pas le droit de dire: "les femmes se voilent si elles le souhaitent." Ce n'est pas politiquement correct. Mes amies pensent que je suis folle pire traitresse. Que se voiler c'est outrager la femme, l'emmurer. Que c'est un diktat masculin. Elles prônent la liberté, la laîcité. Mais il faut accepter l'autre dans ses choix. Comment pouvons-nous savoir ce qui est bien pour l'Autre ? Personnellement le voile ne me fait pas peur. Ce qui me fait peur ce sont les gens qui me disent d'en avoir peur !
RépondreSupprimerAh enfin un texte qui explique clairement la tradition du voile mulsulman! Merci Ckan de nous le faire partager, il mériterai une plus grande diffusion.
RépondreSupprimerJe suis chrétienne, française, blanche :-) mais pourtant lorsque j'essaie d'expliquer à des amis ou des collègues que le voile n'est absolument pas synonyme de soumssion à l'homme, qu'il faut voir ça sous un autre angle, une autre culture, c'est mission impossible.
Il est vrai que l'Islam fait peur et qu'on a tendance à mettre dans le même panier le voile et les terroristes.
Et puis, s'ouvrir à la culture de l'autre, ce n'est pas toujours évident non plus. Surtout quand l'autre fait peur (merci les médias)
J'ai des amies d'origine maghrébine mais non voilées malgré une éducation qui allait dans ce sens là.
RépondreSupprimerNon, elles ne sont pas tendres avec le voile!
ben y'(a pas de recette aujourd'hui ?
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