Va donc au bureau pour lire de la poésie.
Mais pour une mise en bouche, je vous propose une série de petits poèmes composés par
PARNY (1753-1814)
En les lisant, j'ai tout de suite pensée à Sade et sa "Justine", j'ai vérifié les dates qui correspondent puisque Sade a vécu de 1740 à 1814, Parny et Sade sont donc complètement contemporains.
TABLEAU PREMIER
LA ROSE

C’est Justine, c’est la candeur.
Déjà l’amour parle à son cœur :
Crédule comme l’innocence,
Elle écoute avec complaisance
Son langage souvent trompeur.
Son œil satisfait se repose
Sur un jeune homme à ses genoux,
Qui d’un air suppliant et doux
Lui présente une simple rose.
De cet amant passionné
Justine, refusez l’offrande ;
Lorsqu’un amant donne, il demande.
Et beaucoup plus qu’il n’a donné.
TABLEAU II
LA MAIN
Quand on aime bien, l’on oublie
Ces frivoles ménagemens
Que la raison ou la folie
On ne dit point : « La résistance
Enflamme et fixe les désirs ;
Reculons l’instant des plaisirs
Que suit trop souvent l’inconstance. »
Ainsi parle un amour trompteur,
Et la coquette ainsi raisonne.
La tendre amante s’abandonne
A l’objet qui toucha son cœur ;
Et dans sa passion nouvelle,
Trop heureuse pour raisonner
Egle est bien loin de soupçonner
Qu’un jour il peut être infidèle ;
Justine avait reçu la fleur,
On exige alors de sa bouche
Cet aveu qui flatte et qui touche,
Alors même qu’il est menteur.
Elle répond par sa rougeur ;
Puis avec un sourire céleste
Aux baisers de l’heureux Valsin
Justine abandonne sa main,
Et la main promet tout le reste.
Artiste : XiPan
TABLEAU III
LE SONGE
Le sommeil a touché ses yeux ;
Sous des pavots délicieux
Ils se ferment, et son cœur veille,
A l’erreur ses sens sont livrés.
Sur son visage par degrés
Sa main semble éloigner quelqu’un.
Sur le duvet elle s’agite ;
Son sein impatient palpite,
Et repousse un voile importun,
Enfin, plus calme et plus paisible.
Elle retombe mollement ;
Et de sa bouche lentement
S’échappe un murmure insensible.
Ce murmure plein de douceur
Ressemble au souffle de zéphyre,
Quand il passe de fleur en fleur ;
C’est la volupté qui soupire.
Oui ce sont les gémissemens
D’une vierge de quatorze ans,
Qui ans un songe involontaire
Voit une bouche téméraire
Effleurer ses appas naissans,
Et qui dans ses bras caressans
Presse un époux imaginaire.
Le sommeil doit être charmant,
Justine, avec un tel mensonge ;
Mais plus heureux que l’amant
Qui peut causer pareil songe !
TABLEAU IV
LE SEIN
Justine reçoit son ami
Dans un cabinet solitaire.
Sans doute il sera téméraire ?
Oui, mais seulement à demi :
On jouit alors qu’on diffère.
Il voit, il compte mille appas,
Et Justine était sans alarmes :
Son ignorance ne sait pas
A quoi serviront tant de charmes.
Il soupire et lui tend les bras ;
Elle y vole avec confiance ;
Simple encore et sans prévoyance.
Elle est aussi sans embarras,
Modérant l’ardeur qui le presse,
Valsin dévoile avec lenteur
Un sein dont l’aimable jeunesse
Venait d’achever la rondeur.
Sur des lis il y voit la rose ;
Il en suit un léger contour ;
Sa bouche avide s’y repose :
Et l’échauffe de son amour.
Et tout-à-coup sa main folâtre
Enveloppe un globe charmant,
Dont jamais les yeux d’un amant
N’avaient même entrevu l’albâtre.
C’est ainsi qu’à la volupté
Valsin préparait la beauté
Qui par lui se laissait conduire ;
Il savait prendre un long détour.
Heureus qui s’instruit en amour,
Et plus heureux qui peut s’instruire !
Artiste : XiPan
TABLEAU V
LE BAISER
Ah ! Justine, qu’avez-vous fait ?
Quel nouveau trouble et quelle ivresse !
D’un simple baiser est l’effet !
Le baiser de celui qu’on aime
A son attrait et sa douceur ;
Mais le prélude du bonheur
Peut-il être le bonheur même ?
Oui, sans doute, Ce baiser-là
Est le premier belle justine ;
Sa puissance est toujours divide.
Et votre cœur s’en souviendra.
Votre ami murmure et s’étonne
Et votre cœur s’en souviendra.
Votre ami murmure et s’étonne
Qu’il ait sur lui moins de pouvoir ;
Mais il jouit de ce qu’il donne ;
C’est beaucoup plus que recevoir.
TABLEAU VI
LES RIDEAUX
Dans cette alcôve solitaire
Sans doute habite le repos ;
Semblent fermés par le mystère ;
Et ces vêtemens étrangers
Mêlés aux vêtements légers
Qui couvraient Justine et ses charmes,
Et ce chapeau sur un sopha,
Ce manteau plus loin, et ces armes
Disent assez qu’Amour est là.
C’est lui-même : je crois entendre
C’est lui-même : je crois entendre
Le premier cri de la douleur,
Suivi d’un murmure plus tendre,
Et des soupirs de la langueur.
Valsin, jamais ton inconstance
N’avait connu la volupté :
Savoure-là dans le silence.
Tu trompas toujours la beauté ;
Mais sois fidèle à l’innocence.
TABLEAU VII
LE LENDEMAIN

Justine a repris son ouvrage :
Elle brode, mais le bonheur
Laissa sur son joli visage
L’étonnement d’une pâleur.
Ses yeux qui se couvrent d’un voile
Au sommeil résistaient en vain ;
Sa main s’arrête sur la toile,
Et son front tombe sur sa main,
Dors et fuis un monde malin :
Ta voix plus douce et moins sonore,
Ta bouche qui s’entr’ouvre encore,
Tes regards honteux ou distraits,
Ta démarche faible et gênée,
De cette nuit trop fortunée
Révèleraient tous les secrets.
TABLEAU VIII

L’INFIDELITE
Un bosquet, une jeune femme,
A ses genoux un séducteur
Qui jure une éternelle flamme,
Et qu’elle écoute sans rigueur ;
C’est Valsin. Dans le même asile
Justine crédule et tranquille,
Venait rêver à son amant ;
Elle entre : que le peintre habile
Rende ce triple étonnement.
Artiste : Anne Martino
TABLEAU IX
LES REGRETS
Et mes yeux avec intérêt
La suivent dans ce lieu secret
Où sa chute fut si touchante.
D’abord son tranquille chagrin
Garde un morne et profond silence :
Mais des pleurs s’échappent enfin,
Et coulent avec abondance
De son visage sur son sein ;
Et ce sein formé par les Grâces,
Dont le voluptueux satin
Du baiser conserve les traces,
Palpite encore pour Valsin.
Dans sa couleur elle contemple
Dans sa couleur elle contemple
Ce réduit ignoré du jour,
Cette alcôve, qui fut untemple,
Et redit : Voilà donc l’amour !
TABLEAU X
LE RETOUR
Ne cesse point d’être constant :
Justine, aussi douce que belle,
Par-donna l’erreur d’un instant.
Elle est dans les bras du coupable
Il lui parle de ses remords ;
Par un silence favorable
Elle répond à ses transports ;
Elle sourit à ses tendresses
Et permet tout à ses désirs ;
Mais pour lui seul sont les plaisirs.
Elle conserve sa tristesse.
Son amour n’est plus une ivresse ;
Elle conserve sa tristesse.
Son amour n’est plus une ivresse ;
Elle abandonne ses attraits.
Mais cependant elle soupire ;
Et ses yeux alors semblent dire :
Le charme est détruit à jamais.