Il suivait son idée, c'était une idée fixe et il s'étonnait de ne pas avancer.
Jacques Prévert

Allo, ben allo quoi ! T'es une fille ?
T'as pas de shampoing ?
Nabilla

"Les filles bien vont au paradis
Les mauvaises filles vont où elles veulent"
Anne Haunime






mercredi 20 mai 2009

5 Un conte de Pierre-Jakez Helias - I


Le sabot à feu


Le temps de la chandelle était déjà fini, en Bretagne, et l'on voyait encore les vieilles femmes passer dans les chemins de campagne et dans les rues des bourgs, portant précieusement, au pli du bras, un vieux sabot qui laissait échapper des mèches de fumée. Souvent, elles avaient travaillé toute la journée dans les champs des autres et elles rapportaient de la braise pour réchauffer leurs maisons désertes, de la braise empruntée à un âtre riche qui flambait en plein jour. C'est que les allumettes étaient encore trop chères pour elles, qui comptaient par sou. C'est surtout que l'on se "prêtait" le feu les uns aux autres comme un gage de bonne entente et de bonne compagnie. Comme on se prêtait du levain pour faire gonfler la pâte.
Les vieilles femmes avaient glané des aiguilles de pin dans les bois. Elles en avaient une bonne provision entre le banc et le coin de la cheminée.. Quand elles rapportaient la braise dans le sabot à feu, il suffisait d'une poignée d'aiguilles pour l'enflammer et de quelques bûches pour chauffer et éclairer à la fois... A lui tout seul, le feu était une bénédiction.
Je suis allé quelquefois chercher des tisons pour la vieille Marie-Jeanne Bourdon. Elle m'arrêtait sur la route quand je revenais de mener ma vache aux champs : "petit, me disait-elle, mettez-vous sur mon seuil et regardez bien les cheminées. Si vous en voyez une qui fume, marchez droit dessus et montrez le sabot." On ne m'a jamais refusé du feu pour Marie-Jeanne. Et il m'est arrivé, une fois de lui ramener une pincée de tabac pour sa pipe. Quand elle avait allumé son feu, elle y chauffait ses vieilles mains et ne manquait pas de soupirer : "Maintenant, il me faudrait quelqu'un pour me dire les contes." Mais les grands conteurs dont elle disait les noms étaient déjà morts.
Au temps de sa jeunesse à elle, on faisait la veillée, à tour de rôle, dans les maisons de son hameau. Il n'y avait d'autre dépense, pour les hôtes que le feu. La ménagère rentrait un peu plus tôt du champ. Elle allait chercher de la braise chez le boulanger du carrefour. Elle faisait le feu, l'alimentait pour obtenir un lit de tisons suffisant pour enflammer une souche de chaîne que son mari avait mise à sécher depuis longtemps dans un coin de l'âtre. Cette souche brûlait à flammes courtes pendant une part de la nuit. Les assistants se serraient autour d'elle pour écouter les contes. Quand les contes étaient finis, elle n'était plus qu'un bloc rougeoyant, enrobé d''une écorce de cendre craquelée. Le maître de la maison la brisait avec une vieille houe et partageait le charbon vif entre les assistants. Les uns avaient apporté le sabot à feu pour ramasser leur part de tisons. Les autres, quand le temps était sec et la lune claire, trouvaient plus de plaisir à s'ôter un sabot du pied pour recevoir la braise. Ils rentraient chez eux à cloche patte et on les entendait rire dans la nuit. C'est qu'ils devaient faire aller et venir le feu entre la pointe et le talon comme un kyrie eleison, pour ne pas brûler le pauvre sabot. Cela n'allait pas toujours sans mal. Le lendemain, ils le montraient à leurs amis, tout noirci à l'intérieur et ils juraient que jamais plus ils n'auraient froid aux pieds.
Aujourd'hui, les sabots à feu sont aussi rare que les louis d'or et il n'y a plus personne pour dire les contes comme il faut.
In "CONTES BRETONS"
Pierre-Jakez Helias
Editions Jos
.....

5 commentaires:

  1. C'est molto bellissimo cette ambiance de campagne d'autrefois.
    De mon côté, je t'ai taguée sur mon blog. Come and see!

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  2. C'est chouette cette ambiance d'autrefois, il y a pas mal de conteurs dans l'Allier et c'est très agréable !

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  3. De Pierre Jakez Helias, j'ai lu autrefois, le CHEVAL d'ORGUEIL. C'est un merveilleux conteur, un peu oublié et c'est heureux de le mettre à l'affiche ce matin. Un bon présage pour le weekend, peut être...
    Coucou me revoilou...

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  4. C'est drôle, je n'avais même pas remarqué ce vouvoiement... Ca fait distingué, je pense... C'est peut être à cause de ce Madame que je lis dans les commentaires de ce blog. Je trouve ça très amusant ce Madame cKanKonVaou.... Mais me faire tutoyer ne me dérange pas. Cela fait partie des petits jeux sur la toile...
    Bonne journée

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  5. Superbe texte, en ce temps là, la vie des femmes à la campagne était très dure....

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C'est à toi :

Et que le vaste monde poursuive sa course folle !
Cormac Mc Carthy - La route